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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Au nom de la terre

Publié par Dominique Terrier sur 28 Mai 2020, 07:49am

Catégories : #Cinoche

Au nom de la terre

Je commence par un coup de chapeau, les bémols viendront ensuite, une tactique que je m’applique à suivre pour ne pas perdre les adorateurs du film dès les premières lignes. Au nom de la terre a fait deux millions d’entrées, score fabuleux car c’est le première réalisation de quelqu’un qui raconte la dépression et le suicide de son père, paysan accablé par les dettes. Vu sous cet angle l’exploit est exceptionnel. Dans mon village ce film a fait salle comble à chaque projection, les spectateurs qui vivent en milieu rural ont adoré. Dans les grandes villes comme Paris ou Lyon le film a cartonné itou, prouvant ainsi que les drames campagnards ont toujours du succès. Dans un registre plus gai, le triomphe de la famille Bodin, au cinéma et au théâtre, ne fait que confirmer la tendance. Sans oublier Petit Paysan, une oeuvre supérieure, pour moi, à Au nom de la terre mais je m’explique plus loin. 
La grande difficulté quand on commente un film tiré d’une histoire vraie est que l’on passe pour un cynique quand on ne l’aime pas. Puisque c’est vrai on doit aimer, sinon on a un coeur de pierre. C’était déjà le problème avec Intouchables, film sympathique et bien interprété mais discutable sur le fond. Dans Au nom de la terre, la démarche est inattaquable, exemplaire, le fond est admirable. Mais le cinéma c’est aussi, pour une énorme part, la forme. 
Le film commence comme Les Grandes Gueules de Robert Enrico. Un homme revient d’Amérique pour reprendre l’exploitation de ses parents. Il a troqué son cheval du Wyoming contre une moto et chevauche celle-ci comme le conquérant d’un nouveau monde. Petit à petit, les difficultés s’amoncellent et le rêve ( américain ?) s’effondre. Il sombre dans une profonde dépression et finit par se suicider. 
Mon premier bémol est de taille. Le casting est bon, les acteurs excellents sauf... l’acteur principal. La coupe Chaussée au moine de Guillaume Canet, d’entrée de jeu, ce n’est pas possible pour moi. Rédhibitoire. Ce n’est plus Au Nom de la terre c’est Au nom de la rose. C’est peut-être un détail pour vous mais j’ai eu le même réflexe de rejet en voyant Rami Malek et sa prothèse buccale dans Bohemian Rhapsody. J’ai trouvé l’interprétation de Canet d’une grande lourdeur, sans aucune finesse, j’ai senti l’acteur plein de bonne volonté pour défendre le rôle mais complètement à côté de la plaque au niveau de l’incarnation de son personnage. En cherchant trop à retrouver physiquement son père, le réalisateur dévie de la route qu’il s’est tracée. Canet n’invente pas son personnage, il suit les consignes d’un metteur en scène qui reconstitue son géniteur. L’exercice est casse-gueule en diable. Le postulat de départ étant que le personnage principal est un inconnu, le spectateur se fout de son aspect physique, c’est ce qu’il dégage qui est important. Et Canet ne dégage rien. Avec ou sans cheveux. On peut comparer avec l’interprétation beaucoup plus crédible de Swann Arlaud dans Petit Paysan. Comme dit l’autre Y’a pas photo. 
Le second bémol est posé sur le scénario lui-même. Le film dénonce du bout des lèvres les ravages de l’agriculture moderne et de l’élevage intensif, la neutralité est un parti pris qui se défend, mais il ne dénonce pas non plus la soif de réussite démesurée du personnage principal. L’homme est prêt à élever n’importe quoi, des perruches ou des ragondins, pour faire de l’argent, et il creuse sa propre tombe au quotidien. Cette stratégie de l’échec, cette spirale, n’est pas sans rappeler celle de Ken Loach dans son dernier opus Sorry we missed you. C’est le sort, la mauvaise fortune, la crise chez Loach, qui s’acharnent sur notre héros sans jugeote. L’endettement est un phénomène atroce mais l’appât du gain est parfois son terreau. Le titre du film pourrait être Au nom de l’argent. L’absence de point de vue du fils, donc du réalisateur, est un peu gênante, il ne porte aucun jugement de valeur sur son père, même vingt-cinq ans après sa mort. Au final le film est assis entre deux chaises, celle du documentaire mais sans la vérité de la caméra d'un Raymond Depardon, et celle, plus fabriquée, façon Famille Bélier, du film « de ferme » avec un scénario famélique. Bien sûr, on peut se poser l’incontournable question : doit-on romancer sa vie quand on la raconte ? Pour ma part je dirais oui, surtout quand on en fait un film. 
Pour conclure ce film m’a déçu, je l’ai trouvé long, surtout la deuxième partie, et je n’ai pas cru une seconde à l’interprétation de Guillaume Canet. Bon, je file me mettre à l’abri de la volée de bois vert qui se prépare.

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