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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

1917

Publié par Dominique Terrier sur 7 Février 2020, 11:34am

Catégories : #Cinoche

1917

1917 est incontestablement le plus gros et le plus grand film de ce début d’année, je le précise d’entrée pour ceux qui n’apprécieront peut-être pas les critiques qui vont suivre. Un gros film car les moyens employés sont gigantesques, la reconstitution est soignée, décors et costumes sont d’une exceptionnelle qualité. Sur le moyen employé, le plan séquence, on en reparle plus loin. C’est aussi un grand film qui s’inscrit sans aucune objection dans la liste finalement assez courte des oeuvres cinématographiques consacrées à la guerre de 14-18, mais, pour moi, le contenu n’est pas à la hauteur des moyens mis en oeuvre. 1917 n’a pas la force et l’impact qu’il devrait avoir. Sam Mendes a tout misé sur les images, parfois au détriment du reste, sa dénonciation de la guerre n’apparait qu’en filigrane par exemple.

Mais revenons sur le moyen employé. 1917 a été tourné en un seul et unique plan séquence, c’est du moins l’impression qu’il donne, et on applaudit la prouesse technique. Un travail de préparation colossal, sans aucun doute. Même les rats sont au bon endroit et au bon moment, c’est dire. Le plan séquence est employé pour immerger le spectateur au coeur de l’action et lui faire ressentir ce que ressent le héros. La caméra n’arrête pas de tourner et le récit se déroule sous nos yeux dans sa continuité, sans interruption.

Au bout de trente minutes je ressens comme un malaise en visionnant 1917 car je ne suis qu’un observateur, pas du tout emporté par l’action, cette caméra indécente, obsessionnelle, me gêne. L’absence de découpage m’étouffe, le besoin d’une pause se fait sentir. Une impression de plus en plus forte au fil du récit. Dans les scènes intimistes ou en milieu fermé, comme dans un tunnel ou une cave, l’emploi du plan séquence est tout à fait inutile et ne fait que renforcer l’éloignement du spectateur par rapport au personnage principal. Voilà le reproche que je fais à 1917, cette volonté de prouver quelque chose sur le plan technique mais en oubliant le spectateur. Je pense qu’un film doit rester un film et ne pas copier une réalité que l’on a préparée pendant des semaines pour la rendre crédible. Le plan séquence doit rester un procédé narratif, un outil, employé avec parcimonie, il doit servir le récit et pas le contraire. Un grand écrivain peut écrire une longue phrase sans points ni virgule mais s’il nous gratifie d’un roman sans aucune ponctuation il va dans le mur : son talent est toujours présent, son projet est louable, son histoire passionnante,  mais il laisse son lecteur sur le quai.

La comparaison avec certains films traitant du même sujet est à faire. J’ai en tête les inoubliables plans séquences de Stanley Kubrick dans Les Sentiers de la Gloire. Dans le premier, la caméra précède Kirk Douglas qui avance dans la tranchée avant l’assaut. Dans le second, la caméra prend la place de Kirk Douglas et avance dans la tranchée où la tuerie s’annonce sur tous les visages. Kubrick n’a pas besoin d’un plan séquence très long pour décrire l’horreur à venir. Il montre le poids sur les épaules de l’officier qui mène ses hommes à la mort et sa solidarité dans le sacrifice. Je me souviens aussi du magnifique plan séquence d’ouverture de Haut revoir là-haut de Dupontel où l’on suit la course d’un chien à travers le champ de bataille puis dans la tranchée où s’entassent les poilus. Une entrée en matière d’une grande limpidité, techniquement parfaite et surtout touchante émotionnellement.

Dans The Revenant, Alejandro González Iñárritu filme en plan séquence une attaque d’indiens, au début du film, et pousse le spectateur dans ses derniers retranchements avant de calmer le jeu et de passer à une mise en scène plus sereine, plus classique. Voilà la fameuse pause dont j’ai besoin au cinéma.

1917 est un film à voir, un spectacle où certains seront en immersion totale, émus, et d’autres beaucoup moins. A chacun de se faire une opinion.

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