Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Quand tu descendras du ciel (4)

Publié par Le Projectionniste

Catégories : #A suivre ...

Quand tu descendras du ciel (4)

Geronimo

 

Le directeur du magasin est une anomalie, un mutant, même son nom est improbable. Lindiain. Roger Lindiain. Tout le monde l’appelle Geronimo. Moi j’ai un faible pour Cochise mais je me soumets au diktat de la connerie majoritaire. Pas de référendum pour les prolos, trop compliqué à organiser. Emporté par la foule, Français moyen jusqu’au fond du slip, rien ne sert de médire, il faut baver à point, à l’unisson de préférence. En tant que représentant de la minorité silencieuse, je hurle avec la meute mais j’ai le droit de faire du play-back, du moment qu’on comptabilise mon vote blanc, je considère que le processus démocratique est respecté. Je ne bronche pas, je file droit, je bavasse en douce sur Geronimo, le dirlo facho. Comme tout le monde.

Môme, le Geronimo, il a du en baver dans la cour de récré, pendant les fusillades westerniennes où les gentils cow-boys flinguaient les emplumés à la peau mate. La rigolade quand la maîtresse l’appelait au tableau, la poilade quand l’adjudant faisait l’appel dans la chambrée, le foutage de gueule quand la gonzesse chaude comme la braise lui demandait son nom. Un blase pareil c’est une punition, un calvaire.

Physiquement, Geronimo, il ressemble plutôt à ce grand escogriffe de Joe L’indien, celui qui foutait la trouille à Tom Sawyer, dans un cimetière, le couteau sanglant à la main. Version Jack Palance, le mongol d’Hollywood, mâchoire taillée à la serpe et regard de fêlé. Vous me direz qu’il faut avoir lu Mark Twain pour faire des comparaisons pareilles, d’accord avec vous. Ici, au magasin, les gens lisent Télé Z ou les journaux gratuits du métro, alors, évidemment, moi, je fais figure d’intello. Lire un bouquin, pour la plupart des gens, c’est vraiment un truc de feignasse. Mais, comme disait Audiard, un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche. Et Geronimo, croyez-moi, il peut faire Paris-Strasbourg sans forcer, il marche super vite. C’est pour ça qu’il est chef.

Geronimo a frôlé la trisomie, il est passé à l’orange grâce au dévouement d’une sage-femme trop zélée. Il est long comme un jour sans fin, con comme une valise sans poignée, aimable comme une porte de prison, en bref il a tout ce qu’il faut pour diriger une équipe de blaireaux dans une enseigne discount toute pourrie.

Ce matin, Lindiain a une mauvaise idée. Il vient me briser les nougats aux vestiaires, pendant que j’enfile ma pelure de Papa Noël. Vestiaires, c’est un grand mot. Plutôt un entrepôt où on range les invendus, l’après-vente et les présentoirs déglingués. Un bordel monstre, à peine mieux rangé que l’intérieur du magasin. Le bon à rien postillonne sous mon nez :

– J’ai une plainte sur le paletot à cause de toi, salopard. Tu as insulté un couple de retraités et maltraité leur petit-fils.

Je m’approche encore plus de lui, furibard, nos fronts se touchent.

– Viens pas me gonfler Geronimo, c’est pas le jour, tu tombes mal.

Il écarte ses gobilles, outré. Il bafouille :

– Comment tu m’appelles, salopard ?

Il joue au mec qui ne connaît pas son surnom. Je suis bien conscient d’avoir gaffé, mais j’en ai rien à cirer. Je hurle :

– Geronimo, bougre de con, Geronimo, Geronimo.

Je mime une plume sur ma tête, je me mets à sauter pour faire venir la pluie en imitant le grand sachem de Danse avec les Loups.

Gesticulation d’une certaine efficacité, faut reconnaître. Pas de bol, c’est pas une averse qui débaroule. Le chefaillon se rue sur moi, furieux. Je le repousse gentiment, sans forcer. Re-pas de bol. Geronimo trébuche sur une tondeuse à gazon pleine de poussière et s’affale, les quatre fers en l’air, floc, comme une bouse bien fraîche dans la rosée du matin.

Son corps sursaute, agité de spasmes bizarres. Du sang sort de sa bouche à gros bouillons. Je me baisse pour constater les dégâts. Il me murmure à l’oreille :

– T’es viré, salopard….argh…

Il pousse un dernier soupir chargé aux fines herbes, un vent mauvais qui m’agresse les narines.

Geronimo est cloué comme une grenouille sur une paillasse de labo. Il s’est pris un piolet entre les omoplates, un machin pliable, sans doute un retour clientèle, une daube défectueuse qu’un montagnard du dimanche a échangé contre un dérouloir à papier-cul pour Madame ou un un os en plastoque pour son clébard.

Repose en paix, Geronimo, que ton âme galope dans la vaste prairie où s’ébattent les trous du cul de ton espèce. Le personnel va faire une bonne java avant d’aller pisser sur ta tombe. Que du bonheur en perspective.

Je finis de m’habiller et je pars bosser, l’air de rien, profil bas, en rasant les murs. Pas question de donner le bâton pour me faire battre. Trop tôt, j’ai encore des choses à régler. Le Père Noël n’est pas une ordure. Mais il pourrait bien le devenir.

 

A suivre...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents