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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Quand tu descendras du ciel (5)

Publié par Le Projectionniste

Catégories : #A suivre ...

Quand tu descendras du ciel (5)

 

Viviane 

 

L’enquête est vite torchée. Deux flics pas trop motivés interrogent le personnel. Personne n’a rien vu, ni entendu. Moi encore moins que les autres. Pas fou le gaillard.

Nos braves fonctionnaires, soucieux de ne pas gaspiller l’argent public, sont ravis. Ils font savoir à la cantonade qu’ils n’ont pas de temps à perdre ici, de vraies affaires avec de vrais tueurs les attendent au 36 quai des Orfèvres, des investigations pointues avec des scènes de crime dégoulinantes de sperme et de raisiné. Nous, au magasin, avec notre Geronimo empalé sur un piolet, on passe vraiment pour des nazes, on joue petit bras. Un fait divers comme ça ne fait pas une ligne dans le canard du lendemain. Pour les pointures de la Crime, interroger des demeurés dans un discount, c’est la honte. Le ministre de l’intérieur ne risque pas de les décorer pour un fait d’armes aussi médiocre.

Contrarié, le flic ventru, avec des restants de maquereau au vin blanc dans la moustache, annonce d’un ton sévère :

– Plus vite on rentrera à la maison, mieux ça vaudra.

Un type aussi négligé doit vivre seul, je me demande pourquoi il aime tant son foyer. Il a la dégaine du célibataire, vautré sur le canapé, qui avale sa soupe en boite avant de se tripoter devant un épisode de Julie Lescaut. Le loser dans toute sa splendeur, un peu comme moi, mais pas uni par les liens sacrés du mariage.

L’autre flic est d’accord. Il opine en imitant le balancement de la tête de cocker posée sur la plage arrière de sa bagnole, une daube gagnée à la foire, en simili-daim, qui lui à coûté un bras pour faire plaisir à son marmot. Il est maigre, taillé dans une bouteille de Badoit. Il s’emmerde comme un rat mort et regarde sa montre avec l’air inquiet du mari en plein questionnement sur la fidélité de Madame. Grâce à mon expérience acquise en matière de tromperie conjugale, je sens bien que le mal est fait, il ne fait aucun doute que Madame prend du plaisir sans lui. Si les cocus se mettent à l’acrobatie aérienne, il va se taper un paquet de looping, notre enquêteur à la mie de pain.

Le duo de choc ne met pas longtemps pour découvrir l’évidence : la mort d’un chef n’affecte que très rarement le moral de ses subordonnés, surtout quand ils sont payés à coup de lance-pierre. En trois coups de cuillère à pot, l’affaire est classée, ma petite empoignade avec Geronimo se termine en accident du travail. Paf. Validé par la préfecture, le café de la poste faisant foi. Je décide de quitter le boulot avant l’heure, j’en ai marre d’entendre les pleurs des morveux effrayés par ma barbe synthétique et mon haleine de cadavre.

La porte de Bambi est fermée. Pas de gourmandise ce soir. Je fais grise mine. Bambi c’est un peu ma petite sœur, version flûte enchantée. Une fille généreuse, prêteuse, qui offre son cœur et sa bouche à un pauvre mec dans la peine. Je me suis habitué à ses câlins, à ses tenues improbables et à ses pléonasmes. Je laisse son palier derrière moi, un peu triste. L’escalier me paraît plus raide, les marches plus hautes, je suis presque jaloux de celui qu’elle soulage en ce moment. Mais Bambi n’appartient à personne. C’est ça qui la rend unique, tellement à part.

Quand j’ouvre la porte, j’entends la voix de Viviane. Elle chante. C’est très beau. Mon palpitant se met à battre la chamade.

Un petit poisson, un petit oiseau, s’aimaient d’amour tendre, mais comment s’y prendre, quand on est dans l’eau. Un petit poisson, un petit oiseau, s’aimaient d’amour tendre, mais comment s’y prendre, quand on est là-haut.

Viviane est debout sur une chaise, devant la fenêtre. Elle fait les vitres. La lumière du jour traverse sa blouse et dessine ses formes. Ce corps dont je ne suis pas rassasié m’envoie un étrange signal. Elle n’a jamais été aussi belle. Je m’avance vers elle, en silence. Les bras tendus.

En une fraction de seconde, elle se retourne et me regarde. Trop tard. Elle bascule dans le vide. Sa chanson se transforme en hurlement. Le petit oiseau de Juliette Gréco sait comment s’y prendre, maintenant. L’amour, le grand amour, donne des ailes, on doit s’envoler puis foncer vers le bas pour vraiment le connaître.

Elle fait déjà partie de mon passé. Je ne la pleure pas. Peut-être plus tard. Quand j’aurai terminé ma mue.

 

A suivre...

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