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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Quand tu descendras du ciel (1)

Publié par Le Projectionniste

Catégories : #A suivre ...

Quand tu descendras du ciel (1)

Kevin

 

En retournant au stand je balance un méchant rot bien aigre, limite vomi. Le toast au salami que j’ai piqué sur le présentoir de Justin Pridou, broyé dans la vinasse, se tape une remontée que je stoppe de justesse. Côtes du Rhône ? Tu parles Charles ! Les vignes poussent vers Atochem, dans le couloir de la chimie, le pinard au goût étrange doit être mis en bouteille à Vaulx-en-Velin, bien loin des fûts de chêne de Châteauneuf-du-Pape.

Demain j’essaierai de déjeuner avant d’aller au chagrin, faire le clown l’estomac vide c’est pas recommandé, tous les saltimbanques de chez Bouglione vous le diront. Le collier de misère est déjà difficile à enfiler, faut pas avoir le buffet qui sonne creux pour supporter le boulot de Père Noël, job à durée extrêmement déterminée comme son nom l’indique.

Picorer dans les rayons ça va finir par me filer du cholestérol, un ulcère ou une merde comme ça. D’un autre côté mon haleine de ragondin fait grimacer les moutards, j’observe leurs petites narines violentées par mes retours gastriques, les relents de shit et l’odeur de transpi qui s’évapore de mon manteau en fourrure synthétique. Ces petites trognes qui se convulsent, c’est un spectacle dont je ne me lasse pas.

Un couple de retraités me confie leur petit-fils pour la séance photo. La vioque est décoiffée, ou plutôt pas coiffée, la tignasse grasse, la couleur à deux balles, la coupe à Denise Fabre façon perruque d’Halloween. Elle râle après sa belle-fille qui n’est qu’une feignasse. La haine déforme ses traits, elle plaint son pauvre fiston qui se fait mener par le bout du nez. C’est le dernier Noël, pas question de garder le rejeton l’année prochaine, il ne faut pas la prendre pour une buse. Elle montre son front en gueulant à la ronde :

— Ici, c’est pas marqué Caisse d’Epargne !

Complètement à la masse, elle doit carburer au Lexomil pour tenter d’oublier la salope vénale qui lui a piqué son fiston chéri.

Le grand-père est plus calme. Le sourire aux lèvres, bedonnant, il porte la moustache réglementaire du gendarme, fier de ses quinze ans en milieu rural en tant que préposé à la buvette. L’ancien Pandore arbore un somptueux couvre-chef, une chapka en poils de dromadaire Afghan, la même que celle portée par Léonid Brejnev les jours de défilés sur la Place Rouge. Cependant le retraité n’a pas le visage habité par la passion du marxisme, le chapeau russe lui donne plus l’air d’un con que d’un dirigeant soviétique. Pour se faire une idée, le vieux militaire est un mélange approximatif de Michel Galabru dans Le Général Dourakine et de Jean Carmet dans Dupont Lajoie. Le quidam idéal pour servir de prototype à la production de beaufs en série. 

L’étrange attelage forme un couple qui semble débarquer d’une époque pas si lointaine, celle de la quatrième république. Ils ont connus les belles années du rejet de l’avortement, de la condamnation de la fille-mère, de l’homophobie chronique et du délit de faciès à chaque coin de rue, l’époque où les anciens collabos se planquaient dans les ministères, l’époque où la lame de la guillotine brillait au petit matin avant de s’abattre sur la nuque rasée du condamné. En ce temps-là l’éducation des enfants fonctionnait à grands coups de pompes dans le cul. Les journées étaient ponctuées de punitions et de récompenses, la claque et le sucre d’orge régnaient en maitre dans les foyers. Le poste de télé, recouvert d’un napperon, ne s’allumait que le mercredi soir pour La Piste aux Étoiles.

Le môme est mignon malgré sa lourde hérédité. Pas de bol il s’appelle Kevin. Bon, on ne peut pas avoir tout juste, le prénom ça se change sans frais tandis que la tronche ça coûte bonbon. Je lui cause direct :

— Kevin, tu diras à ta mémé que c’est une vieille radasse qui pue du bec.

Le gamin s’illumine et se marre :

— Oui Papa Noël.

— Et tu diras à ton pépé que le Père Noël lui demande d’arrêter le Pernod.

— Oui Papa Noël.

— Qu’est-ce que tu vas avoir comme cadeau pourri devant ton sapin en plastique ?

— J’ai demandé la collection Clara Morgane mais, vu le genre de la maison, ils vont me refiler du Walt Disney, je ne leur en veux pas, question de génération. Et toi, qu’est-ce que t’aimes mater sur ta téloche ?

— Bof. Moi c’est plutôt la saga Maupassant avec les vieux comiques qui pointent à Pôle Emploi. Mais un petit film de boule de temps en temps je ne crache pas dessus.

On nous tire le portrait puis le môme se lève. Il me tape dans la pogne.

— Salut frère, fais gaffe à toi, les temps sont durs et les gens sont mous. Bonne bourre et à l’année prochaine.

— Salut Kevin, repasse quand tu veux, je te paierai un Schweppes ou une boisson d’homme, comme tu voudras.

Il repart en donnant sagement la main aux deux bouffons qui lui servent de grands-parents.

Kevin. Un rayon de soleil dans la grisaille.

— Au suivant, envoyez les merdeux, j’ai pas que ça à foutre.

 

A suivre ...

 

 

 

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