Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

This is the end (7)

Publié par Le Projectionniste

Catégories : #A suivre ...

This is the end (7)

La mémoire est une salope. Une belle salope. Quand je la convoque, elle se pointe dare-dare. Elle s’offre. Nue comme un ver. Elle me séduit. Me charme. Son chuchotement est un venin. Son sépia est un barbiturique. Elle sort du panier, cobra charmé par le fond de ma pensée. Je voyage dans la chaleur ouatée du passé. Je rêve les yeux grands ouverts.

La fête foraine. La vogue comme on dit à Lyon. Gaufres. Pommes d’amour. Nougat. Barbe à papa. Odeur de poudre. Juke-box géant. Boney M à fond la caisse. Daddy. Daddy Cool. She’s crazy like a fool. What about it Daddy Cool. Approchez messieurs dames. Cinq francs les dix tours. Klaxons. Gyrophares. Sanglé sur le grand huit, je débaroule dans le passé. Les freins ne fonctionnent plus. Le manège est trop vieux. Lâchez-vous mon vieux. Faut faire table rase. C’est derrière vous, rien qu’un bon moment à revivre. Sans plus. I love rock n’ roll. So put another dime in the jukebox, baby. La tignasse brune de Joan Jett s’agite sous mon nez. Les baffles du forain fou sont démesurées. Le modèle Woodstock avec des roues de bagnole. Les basses me défoncent les bronches. Les aigus me déclenchent un rage de dents. Où sont les femmes. Avec leurs gestes pleins de charme. Dites-moi où sont les femmes. Les burnes moulées dans l’alu, le grand blond se lâche. On sent qu’il en rajoute. Les femmes c’est pas son trip. Il veut juste leur ressembler.

La vogue est partie. Les cantonniers ont juste le temps de nettoyer la place du 8 mai 1945. Des brutes épaisses débarquent avec des masses. Le chapiteau du cirque Jean Richard en étoile sur le sol. Les piquets transpercent le goudron. Bling. Blang. La toile se tend. Immense. Sacrée guitoune. Arche de Noé façon Trigano. Voilier gigantesque pour voyageur immobile. Premier rang. Au bord de la piste. Le fauve se plante devant moi et me regarde. Pas bouffé depuis huit jours le lion de l’Atlas. Coup de fouet sur le cul. Il se retourne. Furax. Ouf. J’étais pas loin de me pisser dessus.

Et paf, la salope me plante là, d’un coup, d’un seul. L’œil luisant et la queue entre les jambes. Désérection foudroyante. Plus d’images. Plus de souvenirs. Que dalle. Les mains en suspens au-dessus du clavier, le souffle court, le palpitant à cent quatre-vingt. Statue de sel à l’air niais. Cocu pétrifié par la trahison. Ne me quitte pas. Ne me laisse pas seul. Tin tin tin tin. Et maintenant que vais-je faire. Tin tin tin tin. Veuillez nous excuser pour cette interruption due à une grève de neurones. Poum ça revient. Six mois en arrière. Terminé le noir et blanc. On passe à la couleur. La date fraîcheur est encore valable. Des images presque intactes. 

Un peu parti. Un peu naze. Je rentre dans la boîte de jazz. Quartier vivant peuplé de mecs cabossés. Rue des petites écuries. Bien choisi le nom. Remugles d’élevage de poneys. Le caniveau sent la merde de chat délayée dans l’urine de chien. Danette du pauvre. La canicule s’installe, Paris transpire. Le passant schlingue sous les bras. La passante embaume. Flagrance saumonette. Façade en carreaux blancs pisseux. Des affiches en lambeaux pendouillent sur la tête d’un clodo vérolé. Un taxi s’arrête devant l’entrée. Un couple de cent cinquante ans s’extirpe de la bagnole. Le type regarde l’endroit. Dubitatif. Regard vers le chauffeur. C’est bien ici le New Morning. Vous êtes sur. Taxi driver hilare. La moustache frise. Mais oui. Mais oui. Public préhistorique. Des vieux babas élevés à la pop made in England. Tolkien et bière fraîche. Tous des perches. Un mètre quatre-vingt-dix minimum. Courbés par les bitures. Miraculés de l’overdose. Les femmes ont les cheveux longs et gris. Les dents jaunes. Rincées au Jack Daniel’s. Le cul flasque. Malmenée par le tapis persan usé à la corde. Remember Katmandou. Sandalettes en cuir. Chaussettes pour les frileuses. Jean délavé. Tunique Ravi Shankar. Le kool posé à la truelle sur le regard vitreux. Pas beau à voir. Un commando de Janis Joplin version Walking Dead. Ce soir c’est retour vers le futur. Concerto pour hanches en plastique. Symphonie de la protaste. A vue de nez je suis le seul français dans la salle. Tous British jusqu’à la moelle. Pas besoin de passer sous la toise. Appelez-moi Bilbo. Ou Passe-Partout. 

Un piano à gauche de la scène. Projecteur braqué sur l’idole. Un vieillard souriant règle le tabouret. Blanchi sous le harnais du succès mondial de son tube intemporel. Il s’adresse à moi. Bonsoir Paris. Content de vous revoir. On va fêter ensemble mes soixante-dix piges. Let’s go my friends. Toucher prodigieux. Les premières notes enrobent mon oreille de pâte d’amande. Putain c’est du Bach. Le voix déclenche tout. Souffle coupé. De quoi décourager les tâcherons de la chanson. Gary Brooker est un cousin de Ray Charles et de Joe Cocker. Une famille d’enfer.

Les souvenirs arrivent en masse. Migrants d’un continent oublié. Les bons réchauffent le coeur. Les mauvais assèchent la gorge. We skipped the light fandango. Turned cartwheels’cross the floor. La salle ne respire plus. Les ex-chevelus à la calvitie galopante écrasent une larme. On l’a entendu huit-cent mille fois cette rengaine. La magie opère toujours. A whiter shade of pale. Les paroles. On s’en fout. Personne ne les comprend mais le propos est ailleurs. Gary le répète sans cesse. Ma chanson ne raconte pas des faits mais des effets. Procol Harum forever. J’ai trouvé ma voie. Mon maître. Ne jamais raconter les faits. Décrire les effets. Plonger ma plume dans une nuance empreinte de pâleur. Thank you Gary. 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents