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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

L' Amour du cinéma

Publié par Le Projectionniste sur 15 Septembre 2023, 16:14pm

Catégories : #Chroniques cinéma

L' Amour du cinéma

Quand il a tourné Rio Bravo, le cinéaste Howard Hawks a fait réduire la taille des décors afin que ses personnages paraissent plus grands. Le mètre quatre-vingt treize de John Wayne ne lui suffisait pas, il voulait que son acteur soit immense, autant par la taille que par le courage, afin de remplir entièrement les vingt mètres carrés de toile blanche tendue devant le spectateur. Cette anecdote est une belle métaphore, elle illustre parfaitement ce qu’est le cinéma et pourquoi il nous passionne. Le septième art c’est la vie plus grande que nature, avec des couleurs plus vives, des sentiments plus forts, des mots plus ciselés. Le cinéma c’est aussi une vie par procuration où l’on peut naviguer sur la rivière sans retour, partir pour un voyage au bout de l’enfer, participer à la ruée vers l’or, délirer avec une panthère rose, courir sur la plage de Saint Andrews en écoutant la musique de Vangelis, se battre contre Ivan Drago le terrible boxeur russe, ferrailler en compagnie des mousquetaires contre les hommes du Cardinal ou faire une démonstration de nunchaku en poussant des cris d’oiseaux. Au cinéma nous sommes toujours dans la peau d’un autre, nous bougeons avec lui, nous comprenons ses motivations, nous réfléchissons avec lui, mais il a toujours le dernier mot puisque nous est un autre. « Les films sont plus harmonieux que la vie » disait François Truffaut.

Le cinéma a une logique étrange qui nous fascine, il génère des histoires extraordinaires, des scénarios inédits où la réalité dépasse parfois la fiction. Rita Moreno qui chante dans le West Side Story de Spielberg, soixante ans après avoir obtenu un Oscar dans la première version. Charlie Chaplin, né dans un quartier misérable de Londres, qui rencontre le Mahatma Gandhi et Albert Einstein. Woody Harrelson, fils d’un tueur à gages, qui devient célèbre pour son rôle dans Tueurs nés d’Oliver Stone. Un débutant nommé John Wayne conseillé par le véritable Wyatt Earp sur le tournage d’un western. Voilà, The Duke est de nouveau à l’écran, la boucle est bouclée, on va rembobiner. La projection va commencer.

Mon premier souvenir de cinéma, je n’avais que trois ans, c’est La Guerre des boutons, le film d’Yves Robert où P’tit Gibus a cette réplique célèbre : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu ». Une œuvre charmante où l’accord du conditionnel n’était pas respecté et qui a sans doute contribué à m’inoculer le virus de la cinéphilie plutôt que celui de la conjugaison. Aucun vaccin connu n’a jamais pu me soigner depuis. L’année suivante, en compagnie de mon père et de mon grand-père, je me rendis au Victoria, cinéma de quartier du 8e arrondissement de Lyon, où je rencontrais pour la première fois Les Tontons flingueurs, film dont je n’ai compris les dialogues que bien plus tard. Toujours au Victoria, je fus émerveillé par le Technicolor flamboyant des Aventures de Robin des Bois et celui, plus saturé, des Sept gladiateurs, péplum italien bourré de testostérone.

Les séances de cinéma scolaire du jeudi après- midi étaient un véritable enchantement, elles renforçaient ma passion pour le septième art. Je me souviens particulièrement de deux films hilarants de Jerry Lewis : Un Chef de rayon explosif de Frank Tashlin et Docteur Jerry et Mister Love, réalisé et interprété par Jerry en personne. Ébloui par Le Trésor du lac d’Argent avec Pierre Brice dans le rôle de Winnetou, emballé par Tintin et le mystère de la Toison d’or et Tintin et les Oranges bleues avec Jean-Pierre Talbot dans le rôle du petit reporter, mon intérêt pour le cinéma ne faisait que croitre. Je dévorais les magazines et les programmes de télévision où je pouvais lire le résumé des films et les anecdotes qui les accompagnaient. Ma mémoire faisait le reste en rangeant toutes ces informations dans mon imaginaire d’enfant où une petite encyclopédie se constituait, page après page. 

Ma grand-mère, mordue de cinéma elle aussi, habitait près du Parc de la Tête d’or et, bonheur supplémentaire, elle avait un cinéma de patronage à côté de chez elle. C’est là que j’ai vu les comédies des années soixante comme La Grande vadrouille, Le Gendarme de Saint-Tropez, Le Cerveau ou Fantômas. En 1969, j’assistais, en compagnie de cette mamie cinéphile, à la projection de Il était une fois dans l’Ouest. Elle fut choquée par cette œuvre, novatrice et poisseuse, où Claudia Cardinale, femme de petite vertu au décolleté vertigineux, couche avec un Henry Fonda tueur d’enfant, cynique à souhait. 

Puis vinrent les années soixante-dix, je devrais dire les fabuleuses années soixante-dix, où je visionnais souvent deux ou trois films par week- end dans les salles de cinéma lyonnaises. Entre 1974 et 1980 le liste est longue des films qui me transportèrent loin de ma vie quotidienne. Parmi les plus marquants : Chinatown de Roman Polanski, Les Dents de la mer de Steven Spielberg, Le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier, 1900 de Bernardo Bertolucci, Taxi Driver de Martin Scorsese, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Le Tambour de Volker Schlöndorff, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et Shining de Stanley Kubrick. En 1978, dans un immense cinéma de Londres, La Malédiction de la Panthère rose jouait à guichets fermés. Perdu dans une foule joyeuse où tout le monde mangeait, buvait et fumait, je fus surpris par la première apparition de Peter Sellers qui déchaîna une vague d’hystérie collective comparable à un concert des Beatles. Je n’avais jamais connu une ambiance pareille pendant la projection d’un film. Brian De Palma prolongea le frisson les années suivantes avec Pulsions, Blow Out, Scarface, Body Double, Les Incorruptibles et Outrages.

Le cinéma était devenu une drogue douce et je n’avais aucune envie de décrocher. Les années défilèrent à vingt-quatre images secondeEt puis, un beau matin, jeune retraité, je devins projectionniste bénévole dans une association qui gère le cinéma de mon village. Le comble du bonheur pour un cinéphile. 

« L’amour du cinéma m’a permis de trouver une place dans l’existence » disait Bertrand Tavernier. Partager mon enthousiasme ou ma déception en écrivant des chroniques sur le septième art, agrémentées de quelques souvenirs, est un véritable plaisir qui regroupe mes deux passions : l’écriture et le cinéma. J’espère que mes chroniques vous inciteront à vous caler dans le siège moelleux d’une salle obscure pour visionner un film.

Ce texte est l'introduction de mon ouvrage Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

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