Entracte n°1

Le cinéphile devient exigeant au fil du temps, il fait le difficile, semblable à celui qui n’a mangé toute sa vie que de la brioche trempée dans le champagne. Quand le dessert est moins bon, moins raffiné, le cinéphile fait la moue, il ne se rappelle que les belles scènes de films qu’il n’a pas effacé de sa mémoire, il trie pour ne pas surcharger son stock de souvenirs. Cependant, quand tout est bien rangé, classé, répertorié, il sent que le plaisir diminue et que l’état des choses ne peut pas rester ainsi. Il lui faut revoir ces œuvres marquantes pour estimer si elles le sont toujours. Et le tri continue…

Ce film, qui paraissait si moderne à sa sortie, si avant-gardiste, est-il toujours regardable aujourd’hui ? Cet autre film, adulé par le cinéphile, peut-il échapper à l’emprise du temps, à l’abri de la poussière, simplement parce que la housse de son statut de chef d’œuvre le protège ? Non, certainement pas. C’est pour cela que les très grands films sont aussi rares que les poursuites en voiture dans les films de Bergman. Quelquefois c’est le contenu qui a trop vieilli, pas le contenant, parfois c’est le contraire, le propos du film est totalement dépassé, le drame devient poilant et la comédie triste comme un rat mort.

J’ai revu récemment L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock et j’ai trouvé ça risible, l’histoire ne tient pas debout, la mise en scène est paresseuse, les transparents sont immondes, le grand James Stewart est totalement paumé, seul le Whatever Will Be, Will Be (Que Sera Sera) chanté par Doris Day met un brin de punch à ce film vieillot.

Quand je pense à un film qui traverse les décennies sans broncher je cite Citizen Kane, c’est l’exemple qui s’impose à moi d’emblée. Comment ne pas penser à Donald Trump en voyant ce magnat avide de pouvoir qui accumule les richesses de façon quasi compulsive ? La manière très américaine employée par Kane pour devenir milliardaire est devenue universelle, près d’un siècle plus tard la recette est la même partout, l’aspect prophétique du récit est assez surprenant.

Welles contre Hitchcock, un combat poids lourds qui vaut son pesant de pellicule.