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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le virus de l'écrivain

Publié par Le Projectionniste sur 22 Janvier 2024, 13:26pm

Catégories : #Nouvelle

Le virus de l'écrivain

C’était un matin d’humeur chagrine. L'engueulade avec sa femme à propos d’un point de détail était devenue subitement une cause d’affrontement. La goutte d’eau avait définitivement fait déborder le vase au début de la seizième semaine de confinement. Cent jours sans grosse dispute, c’était exceptionnel, presque un record, la plupart des couples s’était brouillés depuis longtemps. Maigre consolation. D’ordinaire il était patient, attentif aux autres, chacun louait sa gentillesse et sa compassion. Une crème. Mais ce satané coronavirus, à défaut de le rendre malade ou de le tuer, l’avait rendu complètement fou. Il avait pété les plombs pour une broutille, comme beaucoup de rescapés de la terrible épidémie.

Avachi sur le canapé, les pieds posés sur un coussin, la tête sur l’accoudoir, vêtu d’un vieux tee-shirt Waikiki et d’un slip coquille d’oeuf plus que douteux, il lisait, ou plutôt relisait un roman de Guillaume Musso, La Vie Secrète des Écrivains. Un livre qui le fascinait pour plusieurs raisons. Tout d’abord il était bien écrit. Quitte à lire un bouquin autant qu’il soit bon. Mais la vraie raison de son amour pour ce livre était ailleurs. Il rêvait de devenir écrivain, depuis très longtemps, depuis toujours pour être précis. Le texte de Musso lui donnait de l’espoir, lui ouvrait des perspectives insoupçonnées. Le guide du routard de l’apprenti plumitif en quelque sorte, rempli d’une somme de conseils qu’il n’arrivait malheureusement pas à suivre. Que ce soit devant son clavier d’ordinateur ou de manière plus artisanale, avec un stylo et un cahier, il avait commencé son roman un nombre incalculable de fois. Il n’était jamais allé au bout du premier chapitre. Il lui manquait la petite phrase, ces quelques mots qui font les grandes oeuvres, la petite phrase qui résume à elle seule ce qu'attend le lecteur. L’incipit, c’était son nom savant. Son épouse, moqueuse, avait déjà trouvé le titre du roman mort-né : À la recherche du temps perdu à ne rien faire.

Quand elle lui arracha le bouquin des mains en hurlant, lui reprochant son manque d’hygiène et sa paresse, il sentit monter la colère, se leva et fonça dans la chambre pour s’habiller. Il fit claquer la porte, quitta sa maison, et se rua à l’extérieur, oubliant complètement les dernières consignes de confinement imposées par la gouvernement. Dans le feu de l’action, furieux, il avait enfilé le pantalon de pyjama de madame. Un charmant futal rose avec des pois rouges. Pour faire bonne mesure il avait gardé ses charentaises fétiches, celles qui dataient du premier mandat de Mitterrand.

Bang Bang. Il sentit les plombs de chevrotine le frôler, juste au-dessus de sa tête. 

Les hommes de la Brigade du Confinement étaient alignés sur la petite place près d’un 4x4 boueux remplis de chiens et d’armes de destruction massive. Les brutes assermentées picolaient avant de monter au front, leur façon de se donner du courage pour affronter les rebelles de la pampa dauphinoise. La troupe de dégénérés en tenue camouflage se bidonna en le montrant du doigt.

La moutarde lui monta au nez, il avait horreur qu’on se foute de sa gueule. C’est vrai qu’il était fringué comme un qui va faire son coming-out à sa vieille mère. Mais ce n’était pas une raison pour l’humilier, la chasse aux homos était fermée depuis belle lurette.

Il insulta les paramilitaires avec un vocabulaire choisi, modèle Audiard remixé par Frédéric Dard. Mais ces mots, pourtant recherchés, furent visiblement peu appréciés par les lourdauds en treillis qui ne lisaient que les gros titres du Dauphiné Libéré. Le vieux, un nostalgique du casse-pipe qui faisait office de chef, réformé pour ses pieds plats et son mètre quarante-huit, hurla à son intention Cours enfoiré, cours !

La proie se mit à courir, réflexe pavlovien de l’animal qui sentait la mort prochaine, son instinct de survie en mode clignotant, le palpitant à deux-cent coups minute. Les tueurs avinés, armés jusqu’aux dents, avaient enfin trouvé un gibier à leur mesure.

Un écrivain raté, en pyjama et pantoufles, sorti tout droit de La Cage aux Folles, qui les traitait de tous les noms d’oiseaux. Sans le vouloir il avait donné du bonheur à des ingrats qui voulaient lui faire la peau. Les lourdauds avaient carte blanche pour tuer tous celles et ceux qui désobéissaient aux consignes de confinement.

Bang Bang. Les plombs lui piquèrent le gras de la cuisse. 

Tout en courant, il pensa à tous les bouquins qu’il aimait, à son avenir d’écrivain bien compromis et surtout, il pensa à Guillaume Musso. Tout d’un coup il eut comme un flash. La première phrase de son peut-être futur roman s’imposa devant ses yeux, brillant comme une enseigne lumineuse. 

Quand on déclare la guerre aux cons on n’est jamais sûr de la gagner. 

Il avait le sourire aux lèvres quand une balle pour sanglier de calibre 12 le toucha en pleine tête. Il s’effondra. Ravi.

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