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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

La Zone d'intérêt

Publié par Le Projectionniste sur 20 Février 2024, 18:05pm

Catégories : #Films récents

La Zone d'intérêt

Grand film. Comme beaucoup de gens je suis emballé par l’approche visuelle et sonore de Jonathan Glazer, son dispositif est ahurissant. La vie quotidienne de cette famille d’Allemands, à quelques mètres d’un camp d’extermination, est filmée avec une virtuosité et une science du cadrage exceptionnelle. Il ne s’agit pas de n’importe quelle famille puisque c’est celle du commandant du camp.

Tout ce qui est monstrueux est hors-champ, tout ce qui est banal est plein écran, tout baigne dans une nappe sonore incommodante évoquant la barbarie toute proche, c’est pour cela que La Zone d’intérêt est indiscutablement un grand film. La seule scène explicite est celle où deux « logisticiens » de la tuerie de masse viennent exposer leur nouvelle et monstrueuse invention en ne parlant jamais des futures victimes de cette machine infernale. D’un point de vue cinématographique c’est fabuleux, c’est du jamais vu. Je pose cependant un petit bémol.

Dans la dernière partie, Jonathan Glazer quitte la maison et le procédé génial installé autour et dans le jardin. Il filme l’officier nazi loin de chez lui et nous explique la solution finale dans des scènes déjà vues et termine le film en montrant les fours crématoires et le musée d’Auschwitz. J’ai eu l’impression qu’après s’être donné du mal à ne rien nous montrer, le réalisateur avait changé d’avis en nous mettant sous le nez l’horreur dissimulée pendant une heure et demie, comme une sorte de justification de son formidable travail de « camouflage » de la Shoah.

Pour moi ce film et surtout son titre, La Zone d’intérêt, agit sur chaque spectateur comme un révélateur des images qu’il a déjà en mémoire et de l’intérêt, justement, qu’il porte aux événements barbares de la seconde guerre mondiale. Notre âge, notre famille, le lieu où l’on habite, les études que l’on a faites, les livres lus, les films vus, tout rentre en ligne de compte. C’est pour cette raison, entre autres, que la représentation de la Shoah au cinéma provoque toujours des réactions très différentes, voire complétement opposées, chez les spectateurs.

En 1960 le film Kapo de Gillo Pontecorvo et son célèbre travelling provoqua des débats sans fin. Plus près de nous, La Liste de Schindler de Spielberg et La Vie est belle de Benigni firent grincer quelques dents. Le Choix de Sophie, avec Meryl Streep et la série Holocauste, toujours avec Meryl Streep, déclenchèrent aussi quelques remous. Quand il s’agit de filmer l’infilmable personne n’est parfait, au niveau des intentions on ne peut rien reprocher à tous ces réalisateurs, Jonathan Glazer en tête. S’approcher au plus près de la vérité, ou de sa vérité, est une démarche que l’on doit saluer, quelque soit la forme choisie par l’artiste.

« Qui de nous veille de cet étrange observatoire, pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? » Le texte de Jean Cayrol qui rythmait Nuit et Brouillard d’Alain Resnais était pour moi aussi impressionnant que les images insoutenables du film. J’avais treize ans, mon prof d’histoire-géo projetait à ses élèves le célèbre documentaire de Resnais, tourné en 1956 à Auschwitz. La guerre était finie depuis moins de trente ans, j’étais à fond sur cette histoire récente et en particulier sur celle des camps d’extermination. À l’époque on employait le mot holocauste et pas le mot Shoah. Je dévorais les bouquins de Christian Bernadac, que je subtilisais dans la bibliothèque de mes parents, son terrifiant Médecins maudits m’a gâché bon nombre de nuits durant mon adolescence. À dix ans je visitais Oradour sur Glane, le guide était un rescapé du massacre, à onze ans j’étais terrorisé par la langue de Goethe lors de mon premier cours d’allemand, je sentais le vent de la barbarie souffler dans la salle de classe. Voilà, vous avez une petite idée de ma zone d’intérêt.

La Zone d’intérêt est sans aucun doute une œuvre indispensable pour les nouvelles générations, mais en toute honnêteté je confesse qu’elle ne l’est pas pour moi. Je pense sincèrement que tout a été dit et montré dans Nuit et Brouillard.

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