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Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Le cri du projectionniste le soir au-dessus des gens

Mariée dans la neige

Publié par Le Projectionniste sur 13 Février 2024, 18:51pm

Catégories : #Souvenirs

Mariée dans la neige

C’était bien avant l’invention d’Internet et de sa flopée de réseaux sociaux. Les petits tracas des grands de ce monde s’étalaient sur le mauvais papier, à l’encre jamais sèche, des journaux fouille-merde à gros tirages. Ici-Paris, spécialisé dans la vie privée des gens connus, trônait en haut de la pile malodorante. Même en tendant l’oreille on n’entendait jamais personne dire : « Moi j’achète Ici-Paris » et pourtant il se vendait comme des petits pains. On retrouvait la feuille de chou sur la commode de la grand-mère, dans certaines salles d’attente poussiéreuses et dans les toilettes d’à peu près tout le monde, la disparition progressive du WC à la Turque donnant le temps de lire aux Français. Au coin de la rue, son affiche aussi énigmatique que putassière sautait au visage du passant comme un pou dans la chevelure d’un hippie de retour de Katmandou. Tous les kiosques à journaux de France et de Navarre annonçaient, en devanture, la fausse couche de Sheila ou la dramatique sortie de route d’une star avignonnaise de la chanson, près de Saint-Georges-d’Espèranche (Isère), lieu-dit rebaptisé depuis "Virage de Mireille Mathieu".

Mon père, ce héros au sourire si doux, adorait ces potins nauséabonds, même s’il s’en défendait. Curieux par nature, toujours à l’affut de l’anecdote marrante, il se souciait peu qu’elle soit vraie ou fausse, son plaisir constituait essentiellement à nous la raconter avec le plus grand sérieux, le sourire au coin des lèvres et l’œil pétillant. Mon père se moquait des gens célèbres avec respect, il se foutait de leur gueule avec sympathie, et, allons-y, un brin d’amour. Cachant son admiration sous un gentil persiflage, il se servait des ragots récoltés ici et là pour reconstruire le profil et la vie privée des gens connus qu’il ne connaissait pas. Les affiches d’Ici-Paris et quelques lignes picorées chez le dentiste ou le docteur suffisaient à son bonheur. Il surnommait Claude François « Le Recousu » et Richard Anthony « Le Marchand de frigos » après avoir validé de vilaines rumeurs colportées, sans doute, par des esprits jaloux et malveillants ou par un imprésario désireux de relancer son poulain en perte de vitesse.

Pour mon père, la chanteuse Dani c’était « Celle qui s’est mariée dans la neige ». La chanteuse avait-elle dit Oui dans une station de sports d’hiver ou un journaliste espiègle avait-il utilisé le mot Neige pour désigner les narines largement poudrées de la vedette ? Comment cette information de la plus haute importance était-elle parvenue aux yeux et aux oreilles de mon géniteur ? Mystère et boules de gomme. La réponse est probablement dans un très ancien Ici-Paris. Mon père c’était du Wikipédia décalé, croustillant, drôle, bidonné. C’était surtout un fameux incubateur à souvenirs qui me reviennent comme un boomerang. Et Dani sera toujours pour moi « Celle qui s’est mariée dans la neige ».

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